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Vous, les journalistes du New York Times, n'essayez pas de vous défiler : vous commettez un génocide

Par  Ahmad Ibsais, le 16 juillet 2025

Comment les médias occidentaux fabriquent le consentement au génocide et réduisent au silence les voix ensevelies sous les cendres. Un nouveau rapport de WAWOG montre l'influence israélienne sur le NYT.

Il y a près de deux ans, des enfants palestiniens ont tenu une conférence de presse devant l'hôpital Al-Shifa, à Gaza, pour appeler le monde à mettre fin au génocide dont est victime la population de Gaza.

"Depuis le 7 octobre, nous sommes confrontés à l'extermination, aux meurtres, aux bombes qui pleuvent sur nos têtes, tout cela sous les yeux du monde entier", a déclaré un enfant lors de cette conférence de presse. Il a poursuivi : "Nous sommes ici pour nous faire entendre et vous demander de nous protéger. Nous voulons vivre, nous voulons la paix, nous voulons que les assassins d'enfants soient jugés. Nous voulons des médicaments, de la nourriture, de l'éducation, et nous voulons vivre comme les autres enfants".

Cette conférence de presse a eu lieu le 7 novembre 2023. Je me suis souvent demandé ce que ces enfants sont devenus. Sont-ils encore en vie ? Quel genre de cruauté leur a ôté leur dernier souffle ? Leur ont-ils ôté la vie en broyant leurs poumons ?

On dit que le journalisme tient lieu de premier jet de l'histoire. Mais que se passe-t-il lorsque ce récit n'est pas écrit avec de l'encre, mais avec le sang des colonisés ? Que se passe-t-il lorsque les institutions chargées d'informer le public manipulent le récit pour dissimuler un génocide ? Le New York Times est bien plus qu'un quotidien. Il est désormais complice. Il a publié les mensonges qui ont légitimé le blocus, les frappes aériennes et la famine. Il a effacé les noms des enfants palestiniens, exaltant en revanche le chagrin de ceux qui portent l'uniforme d'une armée d'occupation.

Pendant deux années de bombardements, les gros titres du Times sont devenus des scalpels de la syntaxe. En mode passif pour la mort des Palestiniens. En mode actif pour la résistance palestinienne. Il a fallu deux jours aux gros titres pour admettre que des colons ont battu à mort Saif al-Din Musalat près de Ramallah. Lorsqu'Amer Rabee a été abattu de onze balles par des soldats israéliens alors qu'il cueillait des amandes, son nom n'est apparu dans aucun journal national jusqu'à ce que nous réclamions une couverture médiatique. Et pourtant, ni Amer ni Saif ont été accusés de quoi que ce soit. Mais lorsqu'un Israélien meurt, quel que soit son rôle, qu'il ait servi ou non dans une armée génocidaire, sa mort fait couler beaucoup d'encre, fait la une de tous les médias et donne lieu à des prises de position politiques. Son humanité est présumée. La nôtre est sujette à caution.

Un récent  rapport de l'association Writers Against the War on Gaza (WAWOG) a révélé que le bilan du New York Times ne doit rien au hasard. Il est systémique. Meredith Kopit Levien, le PDG actuel, a en effet siégé au conseil consultatif de la B'nai B'rith Youth Organization, un groupe dont l'objectif explicite est d'inculquer les valeurs sionistes aux jeunes juifs. Le rédacteur en chef du journal, Joe Kahn, aurait lancé une enquête interne pour débusquer les membres du personnel trop critiques à l'égard d'Israël. L'un de ses chroniqueurs les plus emblématiques, Thomas Friedman, a un jour écrit : "Israël m'a conquis dès le premier regard". Patrick Kingsley, correspondant du journal à Jérusalem, un bureau construit sur des terres palestiniennes spoliées, a décrit le professeur et poète palestinien Refaat Alareer, assassiné, comme un individu "connu pour avoir publié des commentaires haineux sur Israël" ! Isabel Kershner, une journaliste de renom du Times, a cité plus de 100 fois le think tank militaire israélien de son mari. Ses fils ont servi dans les forces d'occupation israéliennes. Ce n'est pas de la partialité. C'est de l'allégeance.

Mais le Times n'est pas le seul. La BBC a suspendu la diffusion d'un documentaire sur les assassinats ciblés de médecins à Gaza par Israël, invoquant certaines "préoccupations". Sky News a modifié ses images de manière à supprimer les souffrances des Palestiniens. CNN offre régulièrement aux responsables du gouvernement israélien un temps d'antenne ininterrompu, tandis que les Palestiniens, s'ils sont invités, n'ont droit qu'à deux minutes de droit de réponse. Une récente étude a montré que pour chaque voix palestinienne diffusée par les médias occidentaux, on compte plus de trois voix israéliennes bénéficiant de la même tribune. Ce n'est pas du journalisme. C'est de la fabrication du consentement.

À quel prix ce silence est-il fabriqué ? Selon l'ONU, plus de 55 000 Palestiniens ont été tués depuis octobre 2023. Plus de 17 000 d'entre eux sont des enfants. Des centaines d'entre eux sont morts non pas à cause des bombes, mais de faim, alors qu'ils faisaient la queue pour obtenir de la farine, abattus alors qu'ils cherchaient de l'aide. Plus de 90 bébés sont morts dans des couveuses, après que les hôpitaux ont été privés d'électricité. Leur vie a été fauchée par un blocus qualifié de "légitime" par les chroniqueurs américains et les présentateurs européens. Tel est le pouvoir de la propagande.

Quand les Palestiniens crient depuis les ruines, le monde réclame des preuves. Lorsque nos hôpitaux ont été bombardés, on nous demande d'expliquer le contexte. Lorsque nos fosses communes ont été découvertes, le monde a exigé "les deux versions". Mais la semaine dernière, lorsqu'un historien israélien a enfin déclaré que oui, il pourrait s'agir d'un génocide, le Times a publié ses propos en première page comme s'il s'agissait là d'un scoop. Comme si notre vérité, exprimée depuis si longtemps, ne devenait lisible que quand elle est murmurée par l'un de nos colonisateurs. Le message est clair : la souffrance des Palestiniens n'est réelle que si un Israélien la confirme.

Cette omission n'est pas seulement rhétorique. Elle est meurtrière. Les mensonges proférés par le Times, la BBC, CNN et Reuters ne sont pas de simples distorsions anodines. Ils sont complices de la guerre. Ils cautionnent les livraisons d'armes. Ils légitiment la famine. Ils autorisent la poursuite de l'occupation du corps et de l'esprit palestiniens.

L'incitation au génocide et la complicité dans son exécution sont des crimes en vertu du droit international. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a jugé que la Radio Télévision Libre des Mille Collines a joué un rôle central dans "la fomentation du génocide" en déshumanisant les Tutsis et en appelant à leur extermination. Les journalistes et animateurs ont été jugés et condamnés. Pourquoi les rédacteurs coupables d'effacer nos morts n'encourent-ils pas de sanctions ? Pourquoi les auteurs de titres dissimulant nos massacres sous des verbes passifs continuent-ils de remporter des prix Pulitzer ?

Effacer un peuple, ne se limite pas à bombarder ses maisons ou à empoisonner son eau. C'est refuser leur récit. C'est leur ôter la dignité du deuil. C'est suggérer que leurs vies sont complexes et que leurs morts sont inévitables. Le New York Times ne se contente pas de rapporter le génocide, il y prend part.

Voilà pourquoi des campagnes comme "Boycott, Divest, and Unsubscribe" (Boycottez, désinvestissez et désabonnez-vous) sont importantes. Elles ne sont pas que symboliques. Elles sont essentielles. Quand un journal se transforme en outil de l'empire, le silence est complice. Et nous ne le serons pas.

Les Palestiniens ont toujours raconté leur propre histoire. Nous l'avons racontée dans les camps de réfugiés. En exil. Dans la poésie. Dans les rues de Haïfa, Hébron et Rafah. Dans les oliveraies que nos grands-mères ont refusé de quitter. Et dans le silence lourd après le dernier souffle d'un enfant. Nous n'avons jamais eu besoin d'être validés par le New York Times. Mais nous exigeons que le monde cesse de prétendre que ce journal incarne la vérité.

Sachez que la prochaine fois qu'une mère palestinienne se tiendra devant la tombe de son enfant, sa douleur sera simple. Elle ne sera ni complexe ni politique. Elle sera tout simplement réelle. C'est la chose la plus authentique au monde. Et les journalistes qui auront refusé de publier son histoire auront du sang sur leur clavier.

Nous ne pardonnerons pas. Nous n'oublierons pas. Nous ne les laisserons pas s'approprier l'histoire.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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